Si tout va bien dans votre entreprise, si son organisation est fluide et ses projets de transformation réussis, alors créez une communauté managériale d’entreprise et animez-la. Sinon, abstenez-vous.
C’est indéniable : dans tous les projets, les managers ont un rôle clé. Ils ont la mission, en plus de faire « tourner la boutique », d’aider leurs équipes à intégrer une évolution culturelle, commerciale, organisationnelle et de lui donner du sens.
Ce constat étant posé, la solution magique arrive mécaniquement : il faut donc que les managers forment une communauté, qu’ils se sentent y appartenir , qu’ils créent des relations entre eux et avec la Direction, qu’ils échangent leurs bonnes pratiques, pour devenir les parfaits managers-leaders-animateurs qu’il faut qu’ils soient pour transformer efficacement l’entreprise.
Mais ça ne marche pas. Enfin, jamais tout à fait : bien animés, ces managers ont vécu ensemble des moments forts et ils ont de mêmes souvenirs : l’intervention brillante d’un alpiniste ayant gravi seul la montagne de sa vie, ou les tours de karting en folie. Ils ont créé une symphonie à 150 avec leurs mains et des boîtes en carton, ils ont construit des pyramides avec des spaghetti, ils ont joué aux légos, ils ont généré des nuages de mots très intelligents…
De retour de séminaire, ils ont repris les fichiers excel et traité leurs piles de mails en retard, reçu les salariés en difficulté… Ils ont tellement peu retenu les 4 axes de la nouvelle stratégie qu’ils repoussent à la semaine prochaine le débrief des équipes, le temps de remettre la main sur le Powerpoint de 87 pages qui doit bien être quelque part dans la communauté Yammer de managers dont ils ont oublié le mot de passe…
Bref, après avoir été animés, ils retournent au vrai travail…. Et (presque) rien ne bouge.
Cela nous pose trois questions :
1/ D’où cela vient-il, de penser qu’il faut prendre les managers comme une communauté à animer pour qu’ils soient agents du changement ?
2/ Qu’est ce qui ne fonctionne pas dans ces programmes de communication et d’animation managériale alors que toutes les enteprises s’y essaient depuis si longtemps, et avec force moyens et créativité ?
3/ Qu’est-ce qu’on ne fait pas et qui pourrait être essayé pendant qu’on passe son énergie à animer ces gens qui s’entêtent à ne pas vouloir faire communauté ?
D’où cela vient-il, de penser qu’il faut prendre les managers comme une communauté à animer pour qu’ils soient agents du changement ?
Cela vient du schéma mental que génère le sacro-saint organigramme, et qui pousse à l’erreur initiale, car cet organigramme est la représentation la moins opérationnelle de l’entreprise. Il est communément l’outil visuel qui sert à tirer des traits comme les lignes de cordeau : la ligne 1 tire le trait sous les 20 patrons. La ligne 2, celle des 150 top managers ; et sous les 900, celle des managers de proximité vient démarquer la limite ultime entre les derniers happy few et les autres : la masse, les collab’. Et ce dernier tracé marque la frontière infranchissable qui séparera l’animation managériale du vrai travail. Et qui coupe le manager en deux.
La communauté managériale ainsi tracée n’a pourtant aucune réalité opérationnelle, tant que ces managers n’ont pas eu à travailler ensemble, à faire ensemble « du vrai travail ». Et plus on « descend » vers la ligne 3, et moins ces managers de proximité ont d’éléments communs… en dehors, précisément, de ces deux lignes qui les rassemblent tout en les isolant : celle d’en haut, la « 2 », les éloigne du top et des décisions stratégiques, et celle du bas, la « 3 », les sépare définitivement des collab’, dont ils sont néanmoins les responsables et avec lesquels ils agissent au quotidien.
Dans communauté, il y a « commun », et pour faire commun, il faut faire ensemble, changer quelque chose ensemble. Mais pas la couleur des murs qu’on a recouverts pendant deux heures de post-it multicolores. Changer quelque chose de réel, de concret, d’utile, que toute l’entreprise pourra identifier. Et quel travail commun utile, concret, visible, transformant, pourront jamais produire ensemble ce manager de proximité RH, ce responsable de la chaîne de production de l’usine de Bordeaux et ce N-4 de l’informatique responsable de la maintenance du système de gestion des stocks de la ligne des produits vendus en Allemagne ?
L’animation managériale aura tout à gagner à être appréhendée plutôt depuis le travail, par petits groupes, à petits pas. Pour commencer à dessiner, par essai-erreur, un premier »pataoïde » peut-être un peu biscornu de ce groupe de managers ayant envie de s’impliquer, de questionner les transformations de l’entreprise à l’aune de leur métier et des besoins de leurs collaborateurs.
Il sera possible alors de construire avec eux une traduction opérationnelle des axes stratégiques, tester les meilleurs moyens qu’ils auront imaginé pour inscrire cette traduction opérationnelle dans le quotidien de leurs collaobrateurs. Et faire un retour d’expérience avec eux, mesurer ce que ce travail en commun aura fait bouger … ou pas, et recommencer autrement. Mais ne pas oublier que l’animation managériale, c’est l’animation des personnes qui gèrent le travail.
Qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans ces programmes de communication et d’animation managériale, alors que toutes les entreprises s’y essaient depuis si longtemps, et avec force moyens et créativité ?
Des contenus trop généraux. Considérant que les managers ont des problématiques communes, la communication managériale va donc viser l’objectif d’y répondre par ce qu’il y a de commun entre ces managers. C’est dès cet instant, initial, que le mécanisme s’enraye, car le dénominateur commun est bien petit à l’aune de tout ce qu’il y a par ailleurs de spécifique. Produire un message commun nécessite de faire un effort de simplification, de choisir un ton, des exemples, une sémantique généraliste, pas trop technique pour que tout le monde comprenne… ce qui très rapidement ne colle plus à aucune réalité opérationnelle. « On n’a que 15 minutes pur évoquer ce projet, on ne va pas entrer dans les détails » ; « il y a le document référentiel du projet en ligne dans la communauté, on y a déjà passé des heures, ils y a tout dedans, inutile d’en faire plus. ».
Comment dès lors croire qu’un manager – englué dans son quotidien multi-tâches, et traitant en priorité l’indispensable pour travailler et ce pour quoi il a une appétence, « cascadera » ce qui n’a pas été suffisamment concret, explicite ?
Comment le croire, alors même que pour bâtir la nouvelle stratégie et ses 4 axes, chaque membre du comité exécutif a mis plusieurs mois à questionner, trier, négocier, prioriser, intégrer et rendre abordable la complexité des défis que l’entreprise a à relever ?
Un cloisonnement au plus haut. Comment, enfin, croire que les managers auront cette capacité à 360° d’expliquer à leurs équipes le sens du projet de l’entreprise, alors qu’il est probable que le DRH lui-même ne connaît au fond que partiellement la stratégie client, que le DSI, focalisé sur ses projets digitaux, n’entrera pas auprès de ses N-1 dans les détails des projets de gestion prévisionnelle des emplois, et que le directeur de l’innovation occultera dans sa communication vers ses troupes des pans entiers de la stratégie financière, etc etc ? Les animateurs de la communauté managériale sur le réseau social , dès lors, auront beau jeu de multiplier les tentatives d’un décloisonnement qui décidément restera bien virtuel.
Une réponse technologique univoque quelle que soit l’entreprise, sa culture, ses défis. En quête de solutions, la plupart des entreprises choisissent la voie du réseau social pour animer les managers, action clé en mains. La communauté managériale figure au top 5 des premières communautés qui seront créées au lancement de l’outil, suivant le même schéma mental que ce groupe « existe », qu’on peut l’identifier et que ses « membres » ont les mêmes problèmes. Cette création s’accompagne de nouvelles notifications qui viendront charger les boîtes de réception, le community manager s’efforcera de mettre en ligne des articles de veille pour sortir les têtes des guidons… Pour rendre la communauté attractive, il publiera en avant-première les articles clés de l’intranet, tentera de fournir des repères économiques, des informations sur le marché, la concurrence. Les managers qui ont connaissance de ces contenus demanderont sincèrement pourquoi ces informations intéressantes, quand on a un peu de temps pour les lire, ne sont pas plutôt directement adressées à leurs équipes, « ils ne sont pas plus bêtes… »… Et en vrai, cela leur éviterait l’effort de les relayer.
Des efforts de communication en pointillé. Une autre raison de l’échec fréquent des actions de communication managériale est le manque de continuité de l’effort « in situ ». Combien de séminaires des Top 120, même extrêmement efficaces, complets, impliquants, sont restés suspendus comme une bulle flottant hors sol dans les mémoires jusqu’au « plop » où elle disparaît sans laisser de traces ?
Les responsables de ces événements oublient l’essentiel : si des messages de transformation ont y été délivrés, c’est que nécessairement, cette transformation doit s’opérer, se voir, se ressentir post- événement, dans les équipes, dans le travail. La mise en ligne des photos de la soirée n’y suffira pas, ni les témoignages vibrants dans l’intranet, qui relatent que ce séminaire a été une réussite.
Ces actions étant réalisées, les livrables mis en ligne, les équipes de la com’ passent à la suite. Elles reprennent – elles aussi ! – le cours de leur vraie vie multi-tâches et se préparent déjà à imaginer comment, cette année, réaliser des vœux plus originaux qu’une interview du président. Et le sujet du ROI est le plus souvent escamoté.
Ce n’est la faute de personne. Pétri de ces quelques schémas mentaux (les lignes de cordeau, le plus petit dénominateur commun, …) , fort de la certitude que la communauté managériale sera une voie de décloisonnement, et pris par l’urgence des dossiers qui attendent, c’est finalement le système entreprise tout entier, collectivement, qui ne parvient pas à permettre aux managers de jouer leur rôle d’agent du changement.
Qu’est-ce qu’on ne fait pas et qui pourrait être essayé pendant qu’on passe son énergie à animer ces gens qui s’entêtent à ne pas vouloir faire communauté ?
Alors que faire ? Comment proposer d’autres voie d’implication des managers ? Nos expériences, en formes parfois d’échecs et aussi de petites victoires, nous donnent quelques pistes – dans une liste non finie – qu’il conviendra, évidemment, d’éprouver au réel de chaque entreprise.
Nos pistes s’étayent sur une conviction clé : c’est en faisant bouger chaque élément du système que le management se mettra en mouvement.
Réduire l’ambition et partir de la réalité des équipes où travaille le manager. Nous voulons faire des managers une communauté qui portera les changements. L’ambition est louable, elle est immensément irréaliste. Tirez sur la fleur, décrétez qu’elle doit fleurir, elle ne poussera pas. Le terreau et l’eau se déposent aux racines, et les racines des managers se situent dans le métier qu’ils exercent. Le plan stratégique de l’entreprise contient plusieurs thématiques, projets, modifications de processus… Questionner chacun d’eux du point de vue de chacun des métiers de l’entreprise permettra de produire des objectifs réalistes, chargés du sens qui produit le mouvement. « Qu’est-ce que ce projet vient modifier dans notre travail ? » doit être la question à laquelle chaque manager doit pouvoir répondre avant d’en parler à son équipe. Cela demande aux communicants internes notamment, mais aussi aux dirigeants, de ralentir pour décortiquer, questionner les projets et d’en faire un récit mon pas univoque et général, mais spécifique, dédié, étayé. Et si tel ou tel projet n’a pas d’impact direct sur tel ou tel métier (ils sont au fond très rares), alors on dira pourquoi, et l’on expliquera le sens qu’il a pour tel autre métier concerné.
Décloisonner dès le haut de l’organigramme. Et si la directrice de l’innovation présentait en séminaire la stratégie financière ? Et si le DRH annonçait le futur plan média de l’année ? Et si le DSI expliquait la manière dont va se négocier le projet GPEC avec les IRP ? … Et si le DG allait s’asseoir dans la salle pour ressentir l’effet produit par ce switch sur les managers présents ? L’injonction adressée aux N-1, 2 et 3 de faire communauté, tout à coup, se déconstruit… pour peu qu’il ne s’agisse pas que d’une mise en scène, d’un coup de com’, et à condition qu’un travail de fond commun (😉) ait été réalisé en amont par ces dirigeants pour co-construire ce plan.
Des micro-communautés d’intérêt réciroque pour construire avec et pour les managers La communauté managériale « full digitale » qui s’auto-anime et permet au collectif de grandir et progresser est sans doute un aboutissement. Il s’agit là d’une hypothèse que nous posons dans la mesure où nous n’en avons pas encore rencontrée !
Mais lorsque quelques managers à « grand dénominateur commun »– par exemple une dizaine de responsables d’agences ayant les mêmes sujets à résoudre aux mêmes moments- sont invités à travailler régulièrement ensemble en « groupe miroir », le petit pas qu’ils font ensemble peut produire un grand pas pour la communauté.
Réunis tous les mois – ou trimestres selon le rythme des projets en cours-, ils font des REX des déploiements, débriefent ensemble sur les difficultés qu’ils ont rencontrées, les questions qu’ils ont recueillies, et s’approprient les prochaines livraisons, co-construisent des FAQ, alertent sur des charges qui risqueraient d’obérer l’efficacité des prochaines actions. Ce faisant, il s’aident eux-mêmes autant que l’ensemble de leurs collègues managers. Après plusieurs mois, il sera possible de renouveler ce groupe, désormais à même de devenir ambassadeur d’un modèle d’accompagnement par la co-construction. Le terreau mélangé à la terre, il sera temps d’arroser. Si la culture de l’entreprise est suffisamment digitale, il sera pertinent de créer une communauté sur le réseau social pour proposer aux anciens et aux nouveaux de continuer à partager leurs REX, leurs questions, leurs idées.
Un événement global oui, mais déclencheur d’actions locales. La dimension émotionnelle des séminaires, l’effet de reconnaissance qu’ils produisent les rendent indispensables dans la plupart des entreprises. Sortir du quotidien est nécessaire, mais faire entrer les contenus du séminaire dans le quotidien l’est tout autant. L’après-événement doit être l’occasion pour l’équipe de communication de prendre rendez-vous avec chaque dirigeant et de produire avec chacun une traduction « métier » des annonces faites au séminaire. Ils en organiseront le partage, à nouveau, avec ces mêmes managers qui étaient pourtant dans l’assistance de l’événement. Pour cascader, il faut une source renouvelée, nourrie, avec des flots nouveaux d’exemples et c’est au dirigeant de chacun des métiers qu’il appartient de la créer.
Le Co-développement comme agent de confiance. Enfin, donner la possibilité aux managers d’échanger sur leurs difficultés, leurs réussites, leurs questions et espérer qu’ils le feront spontanément sur un réseau social est une vue de l’esprit. Les dispositifs de co-développement permettent de réunir des managers qui ne se connaissent pas forcément à fréquence régulière, pendant plusieurs mois. Ce qui s’y dit est confidentiel. Mais ce qui s’y passe diffuse comme une nouvelle culture d’échange, de relations, de confrontations joyeuses et apprenantes.
Qu’y a-t-il de plus complexe que l’évolution d’une culture managériale ? Bien loin de vouloir « résoudre » cette complexité, cet article aura tenté d’en saisir quelques éléments pour aider les entreprises à questionner le sujet avant d’appliquer, souvent trop vite, « les solutions mâchées du marché ».
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