L’intention est bonne, mais l’action, souvent insuffisante, est aussi hasardeuse qu’un lancer de bouteille et son petit message dans la vaste mer.
Tout changement nécessite d’être expliqué et accompagné auprès des équipes, et il est essentiel que l’ensemble de l’entreprise partage de mêmes références. Dans une période de fragilisation de l’équilibre existant que génère une transformation, il est important de construire un langage commun et de le diffuser. Il explique, rassure, avec les mêmes mots forts et convaincants, quel que soit l’émetteur. Ces éléments de langage, déployés et intégrés au vocabulaire maison, contribueront à l’émergence d’une culture commune, propre à poser les fondation du nouvel équilibre. attendu.
Dès lors, « fournir aux managers les éléments de langage » sur un projet, une nouvelle organisation ou une nouvelle stratégie est incontournable puisque communiquer, « cascader » l’information fait désormais partie de leurs compétences attendues.
L’intention est juste et louable. Le problème survient dès lors que l’on observe l’action généralement mise en oeuvre. Ou plus exactement, l’effort effectivement accordé à cette action consistant à produire , puis à « déployer » les éléments de langage.
Bien que tout le monde soit convaincu de cette nécessité, le geste est trop court, et le suivi de ses effets rarement effectué :
Produire les éléments de langage : effort des responsables du projet ? Très occupés à gérer les glissements de plannings, à compléter les cahiers des charges, à négocier les budgets des différents lots de livraison de leur projet, à jongler avec les jours hommes, les responsables de projets savent pourtant qu’il est indispensable de produire des éléments de langage. Leurs présentations Powerpoint en regorgent, ils réussisent donc entre deux réunions à en extirper quelques punchlines qu’ils fournissent à la com’. Conscients de l’importance de communiquer sur le projet, ils obtiennent péniblement 5 à 7 minutes maximum de présentation au prochain séminaire de managers. Entre 16h30 et 16h37, après la pause de la mi-journée, ils présenteront leurs 5 slides sans pouvoir susciter de questions de la salle, car on sera en retard sur l’ordre du jour et le Directeur Général, qui doit conclure, quittera l’assemblée à 17 heures.
Déployer les éléments de langage : effort des managers ? Ils ont peu de temps pour cela, surchargés de tâches administratives, happés par la gestion du quotidien, les notes de procédures à lire, les décisions à prendre. Le dernier séminaire ? Il n’en a pas spécialement déclenché l’envie, ils ont même un peu zappé le sujet : l’heure tournait et ils avaient des urgences, qu’ils réglaient par mail pendant les présentations. De plus, ces éléments de langage ont pour eux un air de déjà vu, copié-collé du projet précédent qui avait fini par être repoussé avant d’être arrêté, ils ne savent plus vraiment pourquoi. Soucieux de bien faire, ils relisent néanmoins les 5 slides :
- L’information qui s’y trouve est trop générale pour l’équipe qui sera directement concernée par les changements. Craignant d’être soumis à des questions auxquelles il ne saura pas répondre, le manager renonce à partager l’information avec son équipe. Il glissera les deux ou trois éléments de langage à l’occasion d’une prochaine réunion, ou d’un café pris ensemble, ça ira bien comme ça. Il pourra ainsi cocher « oui » à la question posée dans le sondage qu’il recevra sur la démultiplication managériale.
- Le sujet n’impactera pas du tout l’équipe de cet autre manager. Il ne va donc pas les embêter, d’autant qu’il n’y comprend pas grand chose, c’est lointain et les « slides » ne sont pas très éclairants. Il transfère le support par mail, ce qui lui permet de dire qu’il a cascadé, et sait bien qu’il y a aura aussi une communication dans l’intranet. Forcément.
Fournir des éléments de langage efficients devrait pourtant correspondre à d’autres efforts : écouter les équipes, recueillir leurs craintes, leurs questions, leurs idées reçues, en accuser réception, puis faire de même avec les managers, pour identifier ensemble les éléments à clarifier, les formuler, les moduler, les nuancer, et les faire évoluer dans le temps.
D’aucuns considéreront que c’est de la « bienveillance » et que la bienveillance coûte cher en temps et en énergie.
D’autres penseront que ce sont les efforts à minima qui garantissent la performance durable. Pour l’avoir mainte fois expérimenté au cours de ma carrière, pour avoir fait des centaines de REX, RETEX et autres bilans de projet, il n’y a pas une fois où le sujet de la capacité à prendre en compte la réalité vécue par les collaborateurs et leurs managers n’a pas été citée parmi les axes d’amélioration. Et lorsque l’effort est fait, cela se voit sur les visages, dans l’action des équipes, et le système se -re-met en mouvement vers son nouvel équilibre.
Dans la plupart des entreprises, le système empêche d’aller au bout du geste. Il génère une obligation « mal placée » de performance, marquée par l’absence de la culture du questionnement, et le peu d’intérêt pour ce que le message produira ou pas sur ses destinataires. Faute de pouvoir faire mieux, on fait « au moins ça », inscrivant sur des slides des messages placés dans des bouteilles jetées à la mer. Et l’on peut cocher la case : « a fourni les éléments de langage ».
Ne résolvons pas la complexité des projets par la simplification des éléments de langage. La mer est grande, une bouteille peut y couler ou se briser contre le rocher du doute.
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