Infobésité, fatigue informationnelle. Ces nouveaux maux de nos sociétés contemporaines gagnent aujourd’hui le coeur des entreprises et font partie des symptômes du désengagement des managers et des collaborateurs, questionnant directement la responsabilité sociale des entreprises.
Le sujet est désormais très documenté : le trop plein d’information, de flux, de médias sociaux épuise, déconcentre, altère la réflexion et conduit parfois à l’anxiété des citoyens.
Au sein de l’entreprise, le phénomène est aussi bien présent. L’afflux d’informations fait disparaitre les temps de concentration dans la journée de travail, nous dit L’Observatoire de l’Infobésité et de la Collaboration Numérique. En première ligne, les managers luttent chaque jour avec leur boîte de messagerie et son flux entrant continu de dizaines de messages, mails, vidéos, newsletters, émanant de multiples émetteurs internes. Naturellement, ils passent ces messages au travers de ce que nous nommerons la « grille de la nécessité » , privilégiant d’abord les informations opérationnelles indispensables au travail et à l’organisation des priorités de leur équipe. Puis ils traquent les informations liées à leurs avantages et obligations RH. Les autres informations ? Ils les suppriment, non sans ressentir la culpabilité du manager qui ne « cascade jamais » ; ou parfois, ils les gardent quelques semaines en « message non lu », jusqu’à ce que la direction informatique rappelle (par mail) la nécessité de vider les messageries pour soulager les serveurs.
La conséquence, c’est le développement d’une fatigue qui conduit à un sentiment d’impuissance face à cette impossibilité de tout absorber, de tout lire, de tout comprendre. Ils n’ont plus prise. Le désengagement guette.
Bien que ce phénomène soit fréquemment relaté par les collaborateurs et les managers, très peu d’organisations prennent le problème à bras-le-corps. Pourquoi ?
Une hypothèse de réponse est la ténacité du schéma mental selon lequel, comme dans leur vie privée, « les gens sont assez grands pour faire le tri d’eux-mêmes ». Puisque chacun est habitué à choisir ses chaînes d’info, ses fils d’actus préférés et gère ses notifications, alors les Directions Générales laissent libre champ à chaque métier, chaque projet, pour produire ses communications, mails, newsletters et vidéos à destination des collaborateurs et des managers sans en imposer ni cohérence ni organisation. Les modèles de relations contractuelles et organisationnelles d’une entreprise vis-à-vis de son collectif de femmes et d’hommes, pourtant, diffèrent grandement de ceux d’une société vis-à-vis de ses citoyens. Ses responsabilités aussi.
Une autre hypothèse relève de ce que nous appellerons la paresse informationnelle. Mettre en place une stratégie de gestion de l’information nécessite un effort de coordination et de coopération communicationnelles qui n’est qu’un enjeu secondaire au regard des efforts de conception des projets et de mise en oeuvre des opérations. Communiquer efficacement, c’est à dire en cohérence et en ajustement des besoins ne fait pas partie du travail. Les émetteurs d’information escamotent le travail sur la qualité des contenus, leur cohérence, leur sens, leur adéquation à leurs cibles, au profit de l’immédiateté facile des contenants et médias : un PPT, un mail, un fichier dans un espace managers et le travail de communication est considéré comme fait.
Les équipes de la communication interne en sont les témoins impuissants. Le narratif informationnel et émotionnel qu’elles déploient devient alors malheureusement inaudible, submergé par le fracas des messages tous azimuts et des sollicitations diverses.
Dans ces temps où recruter est devenu difficile, et où garder les nouveaux embauchés nécessite de renouveler les moyens de fidélisation, la responsabilité sociale des entreprises est engagée sur le terrain de la gestion de l’information.
Ce pilotage stratégique doit être mené de concert avec les différents métiers de l’entreprise, et orchestré en s’appuyant prioritairement sur les savoir-faire des personnes en charge de la communication. Il s’agit en effet de mettre en oeuvre des compétences qui appartiennent spécifiquement à ce métier, à ces communiquants d’entreprise qui eux, sont payés pour faire ce travail : avoir une véritable connaissance des publics internes et de leur relation à l’entreprise, élaborer des messages adaptés, choisir, articuler et animer les bons canaux, construire des sommaires et des digests, fluidifer les flux, au nom de la cohérence et de la lisibité du fonctionnement de l’organisation.
L’expérience entreprise des collaborateurs se joue aussi dans la qualité informationnelle.
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